Page

« Dans l’affaire du Levothyrox, les erreurs de l’Agence du médicament ont été nombreuses »


Beate Bartès, présidente d’une association de patients et Catherine Hill, épidémiologiste, cosignent une tribune au « Monde » dans laquelle elles demandent des réformes au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament.



Après quatre années d’instruction par le tribunal de Marseille, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient d’être mise en examen pour « tromperie » dans l’affaire du Levothyrox. Au printemps 2017, dès l’introduction de la nouvelle formule du Levothyrox de Merck (médicament à l’époque en situation de quasi-monopole et pris par près de trois millions de patients), de nombreux patients se sont plaints d’effets indésirables parfois très handicapants.
 

Environ 36 000 d’entre eux ont fait un signalement de pharmacovigilance et plus de 10 000 ont porté plainte, ce qui a déclenché l’ouverture d’une instruction contre X par le parquet de Marseille en mars 2018, pour « tromperie aggravée », « blessures involontaires » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Dans cette affaire, les erreurs de l’agence ont été nombreuses. Elle a accepté l’étude fournie par Merck prétendant démontrer la bioéquivalence des deux formulations. Cette acceptation repose sur deux erreurs.


L’agence n’a pas compris que l’organisation de l’étude de Merck, dans laquelle chaque sujet a reçu une fois l’ancienne formulation et une fois la nouvelle, ne permettait pas d’attribuer l’effet observé de la différence de formulation. Cette organisation d’étude inadéquate est encore aujourd’hui acceptée par l’agence française et par l’agence européenne. L’agence américaine, la Food and Drug Administration, demande pour sa part que chaque sujet reçoive deux fois chacune des deux formulations.

Une ligne directrice non contraignante

Le laboratoire Merck et l’ANSM ne vont pas manquer de faire valoir que l’étude qui a été faite respectait la ligne directrice (LD) de l’Agence européenne du médicament (EMA) qui définit la bioéquivalence moyenne comme condition pour vérifier si une nouvelle formule est prescriptible. Contrairement à une directive européenne, une ligne directrice n’est pas contraignante, et celle-ci ne garantit absolument pas que la nouvelle formule soit « substituable » c’est-à-dire puisse remplacer un traitement déjà en cours !

 

Sur ce caractère non contraignant d’une LD, il faut lire le texte de l’EMA qui explique bien qu’on doit s’en affranchir quand la science le suggère. L’analyse de l’étude de Merck, publiée en février 2017, ne permettait pas de documenter la bioéquivalence chez chaque patient, pourtant essentielle dans la mesure où trois millions de personnes allaient être obligées de changer de traitement, la lévothyroxine de Merck étant la seule sur le marché français.


L’agence n’a pas demandé l’analyse des variations individuelles dans la réponse aux deux formulations. Pourtant, il est bien connu que la lévothyroxine a une marge thérapeutique étroite, ce qui signifie que certains patients peuvent être déséquilibrés par un changement de dose peu important. L’analyse faite par Merck a consisté à comparer la disponibilité biologique des deux formulations chez 204 volontaires sains qui ont reçu successivement l’une et l’autre des deux formulations.

Retrouvez l'intégralité de la TRIBUNE sur le site du MONDE